L’état civil au Cambodge, un concept encore mal compris

Un état civil, une date de naissance connue, un nom bien écrit, tout cela nous semble être des droits simples et faciles d’accès. Pour autant, au Cambodge, il est aujourd’hui encore courant qu’un enfant n’ait qu’une idée approximative de son âge et donc aucune connaissance de sa date d’anniversaire.

Les “fantômes” de la société

L’enregistrement des naissances au Cambodge a progressé ces dernières années, en passant de 62% des enfants de moins de 5 ans non enregistrés en 2010 à 25% en 2017. Cependant, aujourd’hui, cela représente toujours 1,6 million d’enfants sans identité officielle. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène : une date d’anniversaire choisie par les parents au moment de faire les papiers ou encore une mauvaise retranscription des informations ou encore la traduction irrégulière en lettre latine des prénoms par les différentes administrations.

Ainsi, un enfant enregistré peut ne pas connaître sa vraie date de naissance, son prénom n’est pas forcément le même sur tous ses papiers d’identité et d’autres petites erreurs qui posent problème à une plus grande échelle.

Le plus gros problème reste la déclaration de naissance car les enfants non déclarés se retrouvent privés d’identité administrative, faisant d’eux de véritables « fantômes » dans la société. Cela peut entraîner un futur fragile pour l’enfant qui, sans identité, ne peut poursuivre ses études, mener une carrière professionnelle, voter, voyager ou encore se marier. L’absence d’existence officielle ouvre aussi la porte au trafic d’êtres humains, à la prostitution, aux mariages précoces ou au travail forcé.
Les raisons qui poussent les familles à ne pas déclarer la naissance d’un enfant sont nombreuses, allant de la simple nonchalance à la difficulté de se rendre dans les services dédiés. C’est souvent un trajet que peu de parents sont prêts à effectuer pour une démarche dont ils ne saisissent pas toujours la portée. Pourtant, l’extrait d’acte de naissance, une fois présenté au commissariat le plus proche, permettra d’obtenir une carte d’identité et, surtout, d’être enfin reconnu comme citoyen à part entière.

Quelles solutions ?

À Taramana, nous luttons pour le droit à l’identité des enfants, en s’assurant que chaque enfant soit bien enregistré. S’il ne l’est pas, nous aidons la famille à obtenir le certificat, en participant soit aux frais de logistique, soit aux frais de délivrance du certificat. Aujourd’hui, il y a moins de dix enfants inscrits à Taramana qui n’ont pas encore fourni leur certificat pour la rentrée, et seulement un qui n’en a pas du tout : le petit Visal, 12 ans après sa naissance, n’a toujours pas de certificat, conséquence, il n’a pas pu participer à la rentrée des écoles publiques en janvier 2021. Né en province, cela coûterait trop cher à la famille pour le faire à distance. Un aller-retour leur reviendrait peut être moins cher mais le coût reste trop élevé, et avec un petit frère de 1 an et demi, un père qui travaille, la mère ne peut pas se permettre un trajet en province.

Afin de s’assurer que les enfants comprennent bien l’importance du certificat de naissance, des cours d’éducation morale et civique sont donnés à Taramana. Parallèlement, nous communiquons avec les familles pour leur faire comprendre l’importance de ces démarches.

À l’échelle mondiale, environ 166 millions d’enfants de moins de 5 ans (soit un sur quatre) n’ont jamais été enregistrés à la naissance. L’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne concentrent 87 % des enfants de moins de 5 ans non enregistrés.
Pour répondre à cette problématique, le gouvernement cambodgien a mis en place de nouvelles règles, comme la gratuité de la démarche dans les 30 jours suivant la naissance. Avec l’aide de l’UNICEF ou d’autres ONG, de nombreuses démarches sont effectuées chaque année pour pallier le manque de déclaration et modifier le système pour un futur où tout enfant sera enregistré. Parmi ces solutions, il y a par exemple la création d’une plateforme regroupant tous les documents officiels afin de faciliter le travail des mairies, ou encore l’organisation de “semaines d’enregistrement” dans des villages reculés, où des officiels viennent enregistrer, avec l’aide d’ONG, les habitants non déclarés.

La crise du Covid a ralenti les démarches et les rapports de recherche, mais la stratégie d’identification de la population mise en place par le gouvernement en 2016 est toujours en progrès. L’objectif à long terme pour le Cambodge est d’obtenir une identité pour tout le monde d’ici 2026.